Demande de renégociation de la Convention de Double Imposition (CDI) : la résilience du Burkina-Faso ?

« Le projet de convention fiscale nigériane nous obligerait à faire des concessions qui sont bien en avance sur les conditions que d’autres pays à faible revenu ont acceptées dans les traités avec nous. » Taxation brief for Mr. Barratt’s visit to Nigeria and meeting with the Director of Inland Revenue: December 1978,” Inland Revenue IR40/17629, National Archives, London (Hearson, 2021)[1].

Les conventions fiscales sont des accords intergouvernementaux qui, une fois signés, font partie des lois fiscales de leurs signataires. La ratification suit des procédures différentes selon les pays. Habituellement, dans les pays à faible revenu, les conventions fiscales sont ratifiées par le cabinet, sans approbation parlementaire (Hearson, 2021). C’était la pratique courante avec les accords de l’ère post-coloniale qui ont été signés par de nombreux pays en développement et même récemment avec la tourmente qu’à créer le procès de Tax Justice Network Africa (TJNA) au Kenya concernant le manque de ratification parlementaire du traité avec Maurice[2].

Au Togo, la Convention de Double Imposition (CDI) avec la France a été signé à Lomé le 24 novembre 1971. Le lendemain, le 25 novembre 1971, l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de France au Togo basé à Lomé, Son Excellence Monsieur Jean-Pierre Campredon, a envoyé une lettre au Ministre des Affaires Étrangères du Togo, Son Excellence Monsieur Joachim Hunlede[3], demandant la modification des articles 38 à 40 de la convention fiscale bilatérale entre les deux pays. En résumé, la lettre de l’ambassadeur de France proposait un mécanisme selon lequel un contribuable faisant l’objet d’une poursuite judiciaire dans l’un des pays, en vertu des articles spécifiés de la convention fiscale, peut demander la suspension de la procédure en fournissant une preuve de propriété d’actifs dans le pays où les impôts sont dus. À peine le ministre togolais a-t-il accusé[4] réception de la lettre qu’il a répondu promptement le lendemain, le 26 novembre 1971, par une lettre dans laquelle la citation de la lettre de l’ambassadeur de France, datée du 25 novembre 1971, représentait 81,74 %[5] de la réponse. Il a exprimé sa gratitude pour la proposition, confirmé l’acceptation du gouvernement togolais et souligné l’engagement à maintenir un climat de confiance entre les deux nations[6].

Ces lettres ont été considérées comme des instruments juridiques qui liaient tout le pays, qui était en dessous de la norme à l’époque, car il était en difficulté pour sa refonte après une longue période d’exploitation pendant la colonisation par de nombreux pays européens, notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni (R.-U.) et la France. On peut se poser des questions sur la validité de telles procédures. Malheureusement, sur la base de ces lettres intitulées « Échange des lettres des 25 et 26 novembre1971[7]», et figurant même sur la page de garde de la convention, la CDI bilatéral entre le Togo et la France est toujours en vigueur, et jusqu’à présent reste non modifié.

Cette attitude hautaine remplie de mépris à l’égard des pays à faible revenu par les pays à revenu élevé était répandue sur tout le continent. Il existe de nombreux exemples, des pays anglophones tels que le Nigeria ou des pays lusophones tels que la Guinée-Bissau. La condescendance outrageante et vitriolique était plus dans les pays francophones, où presque tous les nouveaux gouvernements de la période des indépendances ont été secrètement entraînés dans des accords acrimonieux avec l’ancienne puissance coloniale.

Pendant des décennies, ces CDI inéquitables ont été dénoncés pour renégociation. Cependant, le tollé s’estompe souvent comme des vagues sur le rivage. Un exemple pathétique est celui de l’Inland Revenue du Royaume-Uni qui a décidé de ne pas tenir compte de la demande de renégociation du Nigeria en 1979, arguant que « le Royaume-Uni ne pourrait que perdre avec un nouvel accord qui serait forcément moins favorable que l’ancien » [8]. Le Royaume-Uni a campé sur ses positions et a refusé de bouger d’un iota. Le Nigeria, de son côté, a résisté et n’a pas capitulé. Le suspense a duré dix (10) ans, jusqu’à ce que le Nigeria, le dos au mur, décide de l’abrogation de tous ses traités fiscaux de l’époque coloniale, et de l’imposition simultanée de nouvelles taxes sur les compagnies aériennes et maritimes[9], provoquant une panique au sein du gouvernement travailliste dirigé par James Callaghan[10].

En 1979, même si les négociateurs britanniques ont affirmé qu’un « accord sur les termes proposés [par le Nigeria] aurait été peu attrayant en soi et aurait servi de précédent malheureux pour les accords futurs », [11] ils ont poursuivi la renégociation jusqu’à ce qu’un nouveau traité soit paraphé en 1982. L’équité de ce nouveau CDI est une autre histoire.

Dans la même optique, le Burkina Faso, un État membre du FAFOA, a envoyé une demande de renégociation à la France par la note verbale N°0002/MAEC/SG/DGAJC/DAJC/STAI/iv en date du 5 janvier 2020 et une lettre de rappel à la fin de l’année 2021. Le gouvernement français est resté muet sur toutes ces demandes, ce qui a naturellement déclenché une lettre de dénonciation de la CDI par la lettre N°2023-609/MAECRBE/CAB en date du 7 août 2023 à travers le Ministère des Affaires Étrangères du Burkina-Faso, avec une période de compte à rebours de trois mois, après quoi l’accord bilatéral serait résilié.

Attendons le résultat de ce nouveau suspens !


[1] Hearson, M. (2021). Imposing standards: the north-south dimension to global tax politics. New York: Cornell University Press.

[2] La nouvelle constitution du Kenya exige la ratification des traités par le Parlement, mais le gouvernement a fait valoir que la convention fiscale n’était qu’un accord administratif, une position soutenue par la Haute Cour de Justice. Petition 494 of 2014 – Kenya Law

[3] Liste des ministres togolais des Affaires étrangères — Wikipédia (wikipedia.org)

[4] La modification des articles de cette convention de double imposition n’aurait pas dû être acceptée sans l’avis des cadres de l’administration qui sont sous la tutelle du Ministre de l’Économie et des Finances

[5] La réponse contenait 318 mots de la lettre de Campredon entre guillemets sur les 389 mots de la lettre de Hunlede

[6] Convention avec le Togo (impots.gouv.fr)

[7] Il est important de souligner que les conventions et accords internationaux sont rédigés suivant des principes de bases et contiennent des clauses indispensables telles que les clauses d’entrée en vigueur, de durée, de dénonciation, de règlement des différends etc.

[8] “Historical background to talks,” September 13, 1978, Inland Revenue IR40/17629, National Archives, London. Culled from (Hearson, 2021)

[9] The note terminating the Nigeria – UK treaty is dated June 29, 1978. Inland Revenue IR40/17629, National Archives, London. Culled from (Hearson, 2021)

[10] List of 1978 British incumbents – Wikipedia

[11] 102. A. P. Beauchamp to D. O. Olorunlake, May 18, 1979, Inland Revenue IR40/17630,

National Archives, London. Culled from (Hearson, 2021)

Nyatefe Wolali DOTSEVI Responsable de la recherche, WATAF-FAFOA.

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